Les Vikings en Normandie : L’apport scandinave en Normandie

par Arnaud Le Fèvre

Quel fut l’apport scandinave? Concernant la population, il n’est pas réellement aisé de définir son ampleur, d’autant plus que la colonisation scandinave s’est superposée à un fort substrat franc ou saxon dont les caractéristiques culturelles et ethniques se rapprochent de près des Scandinaves. Néanmoins, la densité de toponymes d’origine norroise suggère un séisme démographique. En effet, l’adoption d’un nom de lieu d’une langue étrangère implique l’existence aux alentours d’une densité critique, dominante de locuteurs de la langue toponyme.

Les premiers établissements scandinaves dans la vallée de la Seine ; ils ont été recensés au nombre de vingt-huit par Jacques Le Maho (© Heimdal d’après Jacques Le Maho).

Autant que l’on puisse en juger si l’on se base sur la toponymie, la densité de colons scandinaves fut inhomogène. Il semble (d’après la densité de toponymes scandinaves, qui révèle en fait plutôt les zones désertées lors des implantations) que les régions côtières (Pays de Caux, Cotentin) furent profondément peuplées, ainsi que la vallée de la Seine, la plaine de Caen et le Bessin, à un degré moindre.

Les avancées récentes de la génétique — maintenant largement utilisée pour établir quantitativement les mouvements de population au cours de l’histoire ancienne — sont prometteuses et ont déjà indiqué qu’environ un homme sur deux dans le nord Cotentin à l’époque des Vikings était d’origine (germano-)scandinave.

Densité de noms de lieux scandinaves

 

L’impact scandinave se manifeste clairement sur le plan de l’organisation de l’État normand, au niveau politique, et particulièrement en ce qui concerne le domaine juridique : à savoir les fondements du droit coutumier normand, base de l’actuel droit anglo-saxon, à opposer au droit dit « romain ».

La Normandie a aussi reçu des Vikings une puissante empreinte morale. On peut ainsi distinguer des traits psychologiques propres que l’on prête au Normand, et que l’on prêtait aussi aux anciens Scandinaves : pragmatisme, sens de la nuance, réserve, prudence et méfiance, respect de la parole donnée, goût de l’ordre, goût du concret, matérialisme, individualisme, roublardise et sarcasme, goût du risque et de l’aventure. Et aussi une sorte de « pessimisme héroïque » tel que l’exprimait dans son oeuvre le Normand Corneille.

D’autre part, l’apport scandinave a été clairement établi dans la langue normande, particulièrement en ce qui concerne tout le vocabulaire maritime (transmis presque intégralement à la langue française par la suite). La langue norroise semble avoir été pratiquée dans le Duché de Normandie pendant un peu plus d’un siècle. On trouvait même à Bayeux une “université” pour l’enseigner au XIème siècle. Cette langue des Vikings finit par se fondre aux languages « romans » (mélanges de langue germanique franque ou saxonne et de bas-latin, ce dernier étant lui-même issu d’un mélange de latin et de gaulois) parlée par les autochtones. C’est de cette fusion du norrois et du roman qu’est né le « normand », déjà langue de littérature écrite autour de 1100 (lançant le style romanesque après Wace), soit près de cinq siècles avant que le français ne prisse forme. Cette langue « normande » servit de base principale avec le picard à la maturation de la langue française « moderne » à partir de la dernière partie du Moyen Âge. Les grands grammairiens normands Thomas Corneille (petit frère du célèbre Pierre) et François de Malherbe ont grandement contribué à sa mise en forme aux XVI-XVIIèmes siècles. Cela explique la grande parenté entre le dialecte régional de Normandie — issu du vieux normand, et qui n’est pas un « patois » contrairement à l’idée trop répandue — et le français.

L’influence linguistique scandinave se retrouve dans de nombreux noms de lieux en Normandie. On y reconnaît la trace des Norrois à travers des terminaisons comme -tôt  (ferme), -thuit  (essart), -bec  (ruisseau), -dal  ou -dalle  (vallée), dans les hogue  (colline, tertre), londe  (bois), nez  (cap), etc., ou encore à travers les noms de lieux en -ville  (du latin villa) : Gonneville, Hatainville, Omonville, Tourville, etc. Ces noms de lieux sont principalement dérivés de noms de personnes scandinaves, de caractéristiques du paysage, ou d’autres descriptifs.

Enfin, de nombreux noms d’hommes scandinaves survivent de nos jours à travers les noms de familles, tels qu’Angot, Anquetil, Burnouf, Toustain, Turgis, Thouroude, Yngouf,…

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